Évangile selon saint Marc, chapitre 4 : « Jésus disait à ses disciples : « Comment allons-nous comparer le Royaume de Dieu ? Ou par quelle parabole allons-nous le figurer ? C’est comme un grain de sénevé qui, lorsqu’on le sème sur la terre, est la plus petite de toutes les graines qui sont sur la terre ; mais une fois semé, il monte et devient la plus grande de toutes les plantes potagères, et il pousse de grandes branches, au point que les oiseaux du ciel peuvent s’abriter sous son ombre ». » (v. 30-33).
Jadis, la chose la plus petite que l’on pouvait voir quand on cherchait à comprendre l’origine de la vie était la petite graine de moutarde ou de sénevé. Depuis que nous avons inventé le microscope, les choses ont changé. Pourtant, si nous pensons à notre perception naïve (au sens premier du terme : celle de l’enfant qui découvre le monde qui l’entoure), nous comprenons que la parabole de Jésus est une invitation à voir un contraste. Se donnent à voir, d’une part, la petite graine, et, d’autre part, l’arbre où les oiseaux viennent faire leur nid – immense contraste du point de vue de l’enfant qui voit un au-delà de ce qu’il peut saisir de ses mains. Si l’image vaut pour nos premières perceptions du monde, elle prend ensuite une gravité au fur et à mesure que nous avançons dans l’exercice de nos responsabilités. La parabole nous invite en effet à voir une image de la vie humaine en mettant un lien entre ce que nous avons trop tendance à séparer, voire à opposer. En effet, nous sommes des « terreux », mais comme la petite graine nous sommes appelés à accueillir le monde céleste : être comme l’arbre aux branches ouvertes qui accueillent les oiseaux. Nous les « terreux » (en hébreu adam) nous accueillons des êtres qui vivent dans le ciel ! Tel est la force de l’image de la parabole : nous les humains, êtres de chair et de sang, nous accueillons un infini, dont le ciel est la figure. Nous sommes comme Noé qui à la fin du Déluge a reçu sur son navire une colombe !
Enigme ? Oui, car le contraste entre la graine enfouie dans le sol et l’arbre ouvert sur le ciel déchire l’enfermement dans un quotidien vécu sans espérance. Nous le savons par l’amertume de nos déceptions ; c’est manquer d’ambition que d’être soumis aux contraintes de « la société de consommation ». Face au consentement à cette triste figure, la parole de Jésus qui souligne le contraste entre la graine et l’arbre est un message d’espérance. L’image (la parabole) invite à ne pas réduire le présent à ce qui se donne à voir. Aujourd’hui, l’actualité est bien triste – plus que n’osions l’imaginer. Il en résulte une terrible tentation : le désir d’abandonner le combat, de renoncer à tout idéal et de nous contenter de nous distraire, ou, pire encore, selon l’expression populaire : « tuer le temps » ! Non, le temps n’est pas à tuer – il est à vivre ! Ce que disent notre agenda, notre montre ou notre téléphone portable sur le temps n’est qu’une mesure extérieure. Nous devons vivre de temps de l’intérieur, de l’intime, du lieu où Dieu fait sa demeure, au lieu où l’Esprit Saint est venu par notre baptême. Dans cette profondeur qui reste cachée, il y a plus que ce qui se donne à voir : l’Esprit que nous célébrons comme Conseiller et Consolateur. Ce n’est pas que pour nous ; c’est pour ceux pour qui nous vivons et qui attendent de nous que nous attestions ce que signifie être « enfant de
Dieu ». Comme les oiseaux qui viennent dans l’arbre du jardin, ils attendent que nous sachions les accueillir et leur dire quelque chose de ce qui reste caché : l’Esprit que nous célébrons comme Conseiller et Consolateur.
Cet Esprit n’est pas que pour nous ; il est pour le monde. Grâce à lui, le Royaume de Dieu est comme l’arbre dans le jardin : il accueille tout ce qui vient comme les oiseaux dans un espace toujours ouvert. Accueillir ce n’est pas être passif, mais répondre à l’appel, à la demande de conseil ou d’aide, voire à un simple regard ou à une écoute désintéressée dans une disponibilité gratuite. Telle est la figure de ce que Jésus est venu fonder : une humanité nouvelle où le maître-mot est « amour ».
Dominicaines des Tourelles, Dimanche 16 juin 2024 Jean-Michel Maldamé