Les Dominicaines des Tourelles

Homélies et conférences

Fête de Noël 2023

Lumières dans notre nuit

La fête de Noël est pour beaucoup l’occasion de vivre avec les membres notre famille et nos proches. Elle permet de nous dire que si nous partageons les joies et les soucis, nous ravivons nos liens d’affection. Les célébrations de Noël nous donnent l’occasion de lire des textes fondamentaux de notre culture. Ce n’est pas facile. La triste actualité de la guerre en « Terre sainte », nous donne à voir la fragilité de ce que nous ont transmis les disciples de Jésus et, à leur suite, les chrétiens. Ils ont parcouru un long chemin pour que le salut ne soit pas enfermé dans l’esprit nationaliste présent dans l’évocation de la royauté de David et de Salomon. En ouvrant sur toute l’humanité, ils opèrent un renversement radical de l’échelle des valeurs religieuses, sociales et politiques. Il est temps de leur rendre leur force.

Messe du dimanche vigile de Noël

Annonciation

En cette veille de Noël, la page de l’évangile de Luc nous rapporte ce qui advint quand Gabriel annonça à Marie qu’elle serait la mère du Messie promis. En prenant en compte ce que nous dit l’évangile de Luc, nous savons que Marie était d’une famille sacerdotale, puisque sa cousine Elisabeth était l’épouse d’un grand prêtre, Zacharie. Les légendes écrites deux ou trois siècles après les événements (dits « évangiles apocryphes ») ont brodé sur ce point. Luc est plus rigoureux. Il rapporte avec sobriété ce que Dieu a fait. Le Messager est Gabriel, dont le nom signifie « Dieu-sauveur ». Tout se déroule dans le respect. Rien de la manière que l’on trouve dans les textes bibliques où Dieu se manifeste dans l’éclat de l’extraordinaire, voire du terrifiant. Rien d’autre qu’une parole emplie de respect, de bienveillance et de reconnaissance. Ainsi commence un monde nouveau. La présence de Dieu ce n’est plus l’effroi, ni la crainte, mais le respect et l’écoute – donc la confiance et la liberté. Avec Marie, une ère nouvelle s’ouvre: celle où la présence de Dieu ne cautionne plus le mépris, l’anathème, les ruses, voire les cruautés. Paraît un nouveau visage de Dieu. En cette vigile où commence Noël, avec Marie, laissons advenir en nous le désir de la présence du Dieu qui se révèle dans la confiance et dans l’amour. Commence le temps de l’espérance !

Messe de la nuit

Paix à tous les hommes, ses bien-aimés

En mentionnant l’universalité de l’empire de César, l’intention de Luc est claire. Il atteste l’universalité de ce qui s’est accompli lors de la nuit où les bergers reçoivent la Bonne Nouvelle : Dieu réalise son plan de salut.

Tout se passe à Bethléem de Judée. La célébrité de cette agglomération vient de que ce fut le pays de la famille de Jessé, dont le fils David devint roi à Jérusalem, ville dont il fit la capitale d’une fédération de tribus qui s’unissaient dans la vive conscience d’être les bénéficiaires des promesses faites à Abraham et à Moïse et de l’action de David. Son pays, neuf était fragile ; il était dans l’épreuve – au dedans et au dehors. En bon roi, David sut en

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assurer l’unité dans la foi et le protéger contre les attaques des grands empires qui voulaient l’asservir. Mais le nom de David dit plus que les combats pour assurer l’indépendance d’une nation. En effet, David fut un homme de prière. La Bible lui attribue de nombreux psaumes qui expriment le souci de la paix et la communion dans la foi. Cet aspect habitait la conscience des habitants du pays, en premier lieu les bergers, pour qui le nom de David disait l’espérance. Dans l’évangile de Luc, la référence à David résonne avec les mots les plus nobles de cette espérance : la justice et la paix. À son école, les chrétiens savent que l’annonce faite aux bergers ne se limite pas aux intérêts d’une nation. Elle concerne l’humanité : tous les hommes que Dieu aime, ceux qui sont l’objet de son amour, un amour universel, sans l’ombre de la jalousie qui est à la source de la guerre – aujourd’hui comme hier, en Palestine comme partout dans le vaste monde.

La parole du chant des anges a été longtemps traduite à partir du texte latin par l’appel « paix aux hommes de bonne volonté ». Cette expression a été souvent réduite à sa dimension morale. Il y a davantage ! En effet, il ne s’agit pas d’abord de la bonne volonté des humains, mais de la bonté de Dieu ; il s’agit de tous les humains que Dieu aime. Tous ! C’est pour tous les humains que Dieu vient. Tous sont aimés de Dieu. Les anges de Noël chantent « paix aux hommes objets de la bienveillance de Dieu ». Telle est la bonne nouvelle !

Qui en a la priorité ? Cette nuit dans les champs près de Bethléem, le message s’adresse à des bergers. S’ils sont originaires du pays de David, ce sont des anonymes ; aussi chacun de nous et tous ensemble nous pouvons nous reconnaître, nous qui veillons pour que la paix, l’amour et la vérité soient dans notre monde. Nous dont les nuits sont habitées par le souci des nôtres ou ceux du monde entier, nous voici comme les bergers porteurs de la grande nouvelle. Dieu vient parmi nous. Sa présence ouvre sur une voie nouvelle, celle de la paix.

Oui, avec les bergers, notre célébration est une visite à l’enfant de Bethléem. Nous le savons : il est le Fils de la Promesse, le roi espéré pour ouvrir une voie de paix pour tous. La symbolique de notre célébration à la nuit tombée est simple : si aujourd’hui, comme les bergers, nous marchons dans la nuit, c’est pour aller au jour de pleine lumière, quand Dieu sera tout en tous.

Messe du jour

Lumière née de la lumière

Dans la nuit, les bergers ont reçu la visite des anges venus leur annoncer la naissance du Fils de la Promesse. Il y avait plus qu’un message à transmettre ; il y avait de la lumière. Cette nuit, nous étions avec les bergers pour accueillir cette lumière. Dans cette lumière, au matin d’un jour nouveau, nous voici avec tous ceux qui ont reconnu en Jésus celui qui devaient venir accomplir la promesse faite à David, promesse reprise par les prophètes pour le peuple qui marchait à la lumière donnée par Dieu. Pour cette raison, à la messe du jour de Noël, la liturgie nous invite à lire le prologue de l’évangile de Jean. Ce n’est pas une facilité, car ce texte solennel présente la totalité de la vie de Jésus ses actes et ses paroles. Plus encore ! La première page de l’évangile de Jean nous invite à prendre en compte une radicale nouveauté : le dévoilement du visage de Dieu. Oui, la première page de l’évangile ouvert ce jour de Noël dévoile l’intime de l’être même de Dieu.

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Noël : un enfant dans la crèche. Un nouveau-né voit le jour dans la précarité. Cet enfant est le messie promis ; il nait à Bethléem, la ville de David, aujourd’hui déchirée par la guerre fratricide des enfants d’Abraham. L’enfant dans la crèche, le nouveau-né que les bergers ont vu dans la mangeoire, celui que nous avons honoré en priant dans la nuit de Noël, n’est pas resté un bébé. Il a vécu sa vie – une vie dont nous connaissons l’essentiel. Aussi dans la lumière du jour de Noël, nous prenons en compte la totalité de sa vie : non seulement sa venue au monde, mais son action. Ce fut une vie donnée pour que d’autres aient en partage le bonheur d’exister et qu’ils reçoivent « grâce sur grâce », réalisation plénière de leur désir et accomplissement de leur vocation à devenir enfant de Dieu.

Cette affirmation serait-elle utopie ou vaine consolation ? Ce ne serait alors qu’une diversion. Mais non ! C’était un commencement. Quel commencement ? Rien moins que le plus beau, celui qui est dit par le terme lumière. Car pour les humains, si la lumière c’est d’abord ce qui vient du Soleil, la lumière c’est aussi ce qui vient à notre cœur et nous permet de voir plus que des apparences. C’est ce que fait Jean, à longueur de page de son évangile : il nous rapporte les actes et les paroles de Jésus qui sont lumière. Aussi pour introduire son récit précis et rigoureux, exemplaire dans sa valeur historique, l’évangile de Jean introduit son lecteur (il nous introduit aujourd’hui encore) en relevant que s’il est juste de parler de lumière pour qualifier les actes et les paroles de Jésus, c’est que Jésus est la lumière. Non pas un porteur de lumière, mais la Lumière.

Tout aussitôt, Jean note que cette lumière est venue dans les ténèbres. Qui parmi nous ignore que la colère, la jalousie, la convoitise et le mensonge sont des œuvres de ténèbres ? Celui qui naît à Bethléem, le Messie promis vient au monde pour combattre en première ligne la puissance des ténèbres, ces ténèbres source de mort – aujourd’hui encore à Bethléem et dans tant d’autres lieux, proches et lointains.

Il y a plus encore. Si Jésus, l’envoyé de Dieu, est lumière, il n’a pas fait seulement montre de sa grandeur. Il a donné à d’autres d’être lumière. Il fait de tous ceux qui l’accueillent de devenir enfants de Dieu, d’une naissance où s’accomplit le plus profond de l’espérance humaine : devenir enfant de Dieu. Plus encore. Il ne s’agit pas seulement de son propre accomplissement, mais pour que cela rayonne et que la puissance des ténèbres soit vaincue.

Telle est notre célébration ce jour de Noël. Nous ne faisons pas que nous réjouir de la naissance d’un enfant, nous reconnaissons que la naissance de Jésus fut un commencement – comme tout commencement il prend sens à la lumière de son accomplissement. a lumière de Noël nous dit qui est Dieu, son amour pour nous, sa présence au fil des jours et des ans. La lumière de Noël nous dit que devant nous, selon la lettre du texte de l’évangile de Jean, il y a la lumière, cette lumière brille dans les ténèbres qui ne peuvent arrêter.

Fête de l’Épiphanie

Par un autre chemin

Matthieu nous rapporte la visite des « mages, venus d’Orient ». Le récit est simple et clair. Il n’a pas besoin d’être commenté… Je relève qu’il s’achève par une phrase laconique qui, à mes yeux, n’a rien d’anecdotique. Matthieu dit que les mages instruits de la

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méchanceté d’Hérode retournent chez eux « par un autre chemin ». On peut entendre qu’ils ne sont pas revenus à Jérusalem, voir Hérode pour rendre compte de leur venue à Bethléem. L’expression dit plus. « Un autre chemin »… Quel chemin ? Le mot est à entendre dans son sens plénier : le mot chemin dit la manière d’être et ses raisons de vivre. Les mages sont des hommes nouveaux par leur rencontre avec Jésus et ils entendent la Parole de Dieu autrement que les scribes de Jérusalem, au service d’un roi dont la cruauté est célèbre, puisque, pour garder le pouvoir, il fit assassiner son propre fils ! Pour comprendre ce qui est advenu pour les mages, il est éclairant de recevoir les leçons de l’histoire.

Au temps de Jésus et des apôtres, Jérusalem n’était pas une ville banale. Elle était la ville phare du monothéisme. Il est bien connu dans notre tradition occidentale qu’elle l’était pour les Grecs. Grâce à Paul, le monde grec et latin a accueilli la richesse théologique du monothéisme biblique – mais cela ne saurait faire oublier qu’elle l’était aussi pour les peuples de l’Orient, de la Mésopotamie à la Perse et d’autres régions d’Asie. Ainsi à Jérusalem on visite le tombeau d’une reine venue de ces régions (dit le « tombeau des rois »). Cela atteste la présence de la présence d’une communauté venue découvrir à Jérusalem le visage du Dieu Unique et Transcendant. Il n’y a donc rien d’insolite dans le texte de Matthieu qui rapporte que « des mages venus d’Orient » demandent à lire les Écritures pour découvrir le visage de Dieu manifesté par ses actes. Reconnaître cette situation permet de comprendre l’importance de la mention des mages dans l’évangile de Mattieu. Il ne s’agit pas d’une curiosité astrale, mais de discerner la volonté de Dieu, le Dieu unique, trois fois saint, créateur du Ciel et de la Terre, qui aime tous les humains du même amour. Ils découvrent à Bethléem que ce Dieu n’est pas seulement le Très-Haut, mais le plus humain des humains, devenu l’enfant de Bethléem, frère universel, le plus humain des humains. Ils découvrent ce que signifie le mot amour quand il est appliqué. Bouleversés, ils repartent « par un autre chemin », un chemin om le mot « amour » est l’essentiel.

Le chemin des mages est devenu différent de ce que signifiait leur titre de « roi ». Il ne s’agit pas seulement de se démarquer de la cruauté d’Hérode qui règne à Jérusalem… Ce roi dont le nom est la figure de la cruauté, du cynisme, dont la situation actuelle nous donne le triste spectacle. Rien qui soit de l’ordre de la puissance et de la majesté, comme on le voit dans les tristes défilés où les maîtres du monde exposent leurs armes nucléaires et les moyens de tuer à grande échelle à des milliers de kilomètres de leur domaine… Rien qui soit trafic monétaire ou de richesses des ressources fondamentales ou des prouesses technologiques… mais dans le regard de l’enfant de Bethléem, la limpidité et la pureté du cœur. « Un autre chemin », oui, vraiment, un autre chemin.

Dans la lumière de Noël, nous sommes avec les mages sur le chemin ouvert par l’enfant de Bethléem. C’est un commencement. Une lumière paraît. Bien plus que l’improbable passage d’une comète, c’est la présence de Dieu qui appelle à partager sa vie, qui est amour et lumière.

Dominicaines des Tourelles – Saint-Mathieu de Tréviers Jean-Michel Maldamé