Les lectures du temps de carême sont choisies pour faire un chemin pour les catéchumènes et la communauté qui les accompagne. Quand il n’y a pas de catéchumènes, les textes gardent leur sens, car le baptême est une route qui s’ouvre. Il faut la parcourir ! Nous le faisons publiquement dans les temps forts de la vie : la première communion, la profession de foi, la confirmation, le mariage ou l’entrée en religion… Le baptême est aussi renouvelé par tous les chrétiens, pendant la vigile pascale. C’est à cela que prépare le temps du carême. Tel est de la page de l’évangile de Jean lu ce quatrième dimanche de carême : la guérison de l’aveugle-né. Nous lisons « En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui demandèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jésus répondit : « Ni lui ni ses parents n’ont péché, mais c’est afin que soient manifestées en lui les œuvres de Dieu ». […]Ayant dit cela, il cracha à terre, fit de la boue avec sa salive, enduisit avec cette boue les yeux de l’aveugle, et lui dit : » Va te laver à la piscine de Siloé » – ce qui veut dire : Envoyé. L’aveugle s’en alla donc, il se lava et revint en voyant clair. […] Le rencontrant, Jésus lui dit : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, que je croie en lui ? » 37 Jésus lui dit ; « Tu le vois ; celui qui te parle, c’est lui. » 38 Alors il déclara : « Je crois, Seigneur « , et il se prosterna devant lui.
Si l’évangile de Jean ne nous dit pas le nom de l’aveugle guéri, c’est pour que nous nous reconnaissions en lui. Il nous représente, non pas pour son infirmité, mais pour ce que nous pouvons appeler « aveuglement ». Ce mot désigne ce qui arrive lorsque nous sommes plongés dans le noir ; il aussi ce qui concerne ce qui fait notre humanité : voir non seulement de ses yeux, mais avec sa tête au sens familier du terme qui désigne la pensée et la réflexion, la lucidité – ce qui permet de voir et de savoir c’est-à-dire, de voir clair et de décider en toute lucidité et connaissance de cause. Il y a hélas bien des manières d’être ainsi aveugle – la pire est celle qui advient quand nous ne voulons pas voir les choses comme elles sont, quelles que soient les raisons : par sottise, par manque de discernement, par jalousie, par mépris, par cupidité, par intérêt… Ainsi nous sommes concernés par ce qui advint à l’anonyme né aveugle. Pour bien voir la portée de ce récit, il nous faut reprendre la suite des événements : sept étapes comme une nouvelle création.
1. D’abord, Jésus nous dit qu’il ne faut accuser ni ses parents, ni des ancêtres – il s’agit de son malheur. Cet homme fait ce que Jésus lui demande et il est guéri. C’est le premier moment : accueillir ce qui nous est donné par un autre. Ce n’est pas facile, parce que souvent notre suffisance nous empêche de demander et de recevoir avec simplicité.
2. Le deuxième moment est celui où il fait confiance à Jésus ; l’aveugle fait ce que Jésus lui demande : il va à la fontaine. Pas n’importe quelle fontaine, mais celle qui porte le nom de « envoyé de Dieu », l’espérance du salut, l’attente de la venue du Messie – telle est notre démarche de chrétien.
3. Troisième étape : l’aveugle entre dans la vie publique : il voit, il marche, il est reconnu par tous qui s’étonnent et se réjouissent avec lui – tel notre souci d’honorer la valeur de la vie et de partager généreusement le bonheur de vivre.
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4. Quatrième étape : les autorités s’en inquiètent, l’homme guéri est interrogé. Que répond-il ? Rien d’autre que la vérité ? Ainsi notre souci de témoigner : oser dire la richesse que notre rencontre avec le Christ nous a apportée.
5. Cinquième étape : les parents sont convoqués ; ils confirment que leur fils était né aveugle et que c’est bien lui qui voit maintenant. Tel notre témoignage dans un monde hostile : dire vrai dans la simplicité et l’objectivité.
6. Sixième étape : l’aveugle guéri est mis en examen : enquête et comparution. L’homme ne sait que dire sinon la vérité : il était aveugle et maintenant il voit ! C’est alors que l’insolite de cette guérison lui fait voir que tout renvoie à la personne de Jésus, l’homme qui vient de Dieu – celui que les prophètes annonçait comme ‘Fils de l’homme’ – ou Messie. Telle notre foi au Christ.
7. Septième étape enfin : l’aveugle guéri rencontre Jésus et il confesse sa foi en lui, plus qu’un envoyé de Dieu, mais Dieu-avec-nous, l’Emmanuel. Nous aussi vivons dans la reconnaissance de l’Emmanuel.
Les sept étapes sont le chemin d’une révélation. Pour l’aveugle, Jésus est un inconnu. Il lui fait confiance même sans le connaître, il agit selon sa parole. Au début, il parle de Jésus en disant « cet homme qui s’appelle Jésus ». Puis après réflexion et confrontation, il dit de lui « l’homme qui vient de Dieu ». Ensuite il reconnait en Jésus le Messie promis « le Fils de l’homme ». Enfin, il le reconnaît comme « Fils de Dieu » et il se prosterne devant lui.
Tel est notre chemin. Il a commencé par le don de la vie ; celle du corps et de l’esprit. Dans la confiance et le désir d’un accomplissement, nous avons avancé surf le chemin de la croissance – pour découvrir du neuf et nous avons vérifié que le bien n’est pas un rêve. Il y a aussi le temps de l’épreuve quand il faut faire face à ceux qui ignorent Dieu ou font de lui un despote tout-puissant. L’aveugle-né est sur ce point un modèle. A ceux qui le mettent en examen, il ne cesse de dire : « Ce que je sais, c’est que j’étais aveugle et que maintenant je vois ». Que faisons-nous, sinon dire : « Ce que je sais c’est que par la parole du Christ, par l’amour du Christ, je suis sorti de mon aveuglement : en prenant à la lettre ce que demande Jésus prier, pardonner, aimer le prochain ». Alors dans la foi, nous avons trouvé une lumière ; éclairée par elle aujourd’hui encore nous avançons. La foi nous fait sortir de nos aveuglements… Elle est une force pour résister à la tentation, pour nous délivrer du mal.
Plus encore. La foi nous donne part à l’Esprit saint. Cet Esprit d’amour et de vérité nous a été donné au baptême. Dans la célébration de Pâques, nous aurons la joie de communier au corps et au sang de Jésus et ainsi d’être ses témoins. Dans le temps d’incertitude qui est nôtre, ce sera un trésor.
Monastère de Prouilhe, 4e dimanche de carême ; 19 mars 2023 Jean-Michel Maldamé