Evangile selon saint Jean, chapitre 4 : « » 19 La Samaritaine dit à Jésus: » Seigneur, je vois que tu es un prophète… 20 Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous dites : C’est à Jérusalem qu’est le lieu où il faut adorer. » 21 Jésus lui dit : » Crois-moi, femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. 22Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. 23 Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car tels sont les adorateurs que cherche le Père. 24 Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent adorer. «
En bons maîtres du monde et colonisateurs éprouvés, les Romains savaient que pour que la prospérité règne dans leur empire, il fallait l’accord des populations. Pour cette raison, quand ils eurent pris l’avantage au Moyen Orient, ils eurent le souci de contrôler la vie religieuse des populations soumises. Pour cela, ils ont construit des sanctuaires répondant à leurs vœux. Ainsi les Juifs purent reconstruire le Temple de Jérusalem – un temple magnifique dont les Juifs étaient très fiers et qui permettait aux prêtres de vivre riches. Cela ne doit pas nous faire oublier qu’il y eut aussi un temple magnifiquement reconstruit chez les Samaritains, eux aussi fils d’Abraham, mais considérés par les Juifs comme un peuple corrompu, abâtardi par les mélanges avec les envahisseurs. Rivalité emblématique de peuples frères par leur origine, mais séparés par le mépris, chacun affirmant son privilège. Quand la Samaritaine pose la question de savoir où Dieu doit être adoré, elle met en concurrence deux sanctuaires prestigieux. La réponse de Jésus est claire ; ces hauts-lieux de l’identité nationale sont vains, car la prière se fait « en esprit et en vérité » c’est dire aussi « en tout lieu et en tout temps » – les grands sanctuaires étant secondaires, quoique importants pour de nombreuses raisons. Jésus lui répond que la prière est fondée sur une exigence qui ne dépend ni des lieux ni du clergé – car « en esprit et en vérité ».
Prier en esprit et en vérité ! Telle est l’exigence que nous présente Jésus. Elle est manifestement en opposition avec ce que représente un temple, tant celui de Jérusalem que celui de Samarie. L’essentiel est la démarche personnelle vécue dans l’intime ; elle prime sur toute autre pratique religieuse.
La situation du monde aujourd’hui nous montre hélas que la parole de Jésus est d’une grande actualité. En effet, à bien les considérer, les guerres d’aujourd’hui sont des guerres de
religion. M. Poutine le fait explicitement en se présentant comme celui qui doit promouvoir contre l’Occident corrompu les valeurs de la Sainte Russie et ce avec la bénédiction du patriarche de Moscou accusant les Ukrainiens de se rattacher au patriarcat de Constantinople. Les guerres du Moyen Orient sont habitées par le motif religieux. Ainsi à Jérusalem, il y a un affrontement à propos de l’ « Esplanade des mosquées » ou « Mont du temple », deux noms pour le même espace de prière – qui concerne des millions de croyants. Et aussi en Afghanistan, en Iran avec les islamistes radicaux … Et encore en Inde où la radicalisation religieuse est source de persécution des musulmans et des chrétiens. Mais aussi en Afrique où les djihadistes pillent le Sahel et imposent leur religion… Bref, aujourd’hui, partout dans le monde, le nom de Dieu est associé à des guerres. Quelle est l’origine de ce malheur, sinon le primat donné à un temple, censé être le centre du monde.
En récusant l’importance du Temple, tant à Samarie qu’à Jérusalem, Jésus pointe la source du mal : la prière est faussée. Jésus demande que l’on prie « en esprit et en vérité ». En esprit et en vérité ? Quel est le sens de cette expression ? L’esprit : c’est-à-dire ce qui fait humaine notre humanité : la clarté de la pensée, la sincérité de nos paroles, la pureté de nos intentions… La vérité : la connaissance de Dieu le créateur, la reconnaissance de la valeur de ses dons et surtout savoir vivre en sa présence : la présence d’un amour premier.
Nous avons beaucoup de chance. Les paroles dites à la Samaritaine sont très synthétiques et très générales. Mais nous savons ce qu’elles signifient parce que nous connaissons la vie de Jésus. Nous savons qu’il a donné sa vie pour nous – et ainsi que nous avons-nous aussi à donner notre vie à ceux que Dieu nous confie : notre famille, parents, conjoint, enfants… mais aussi amis et collègues et voisins… Nous savons que Jésus a donné part à son Esprit saint et que c’est dans cet Esprit que nous prions comme nous le ferons dans un instant avant la communion. Dans la conscience de cette démarche, la liturgie nous fait commencer par dire : « osons dire Notre Père », ce que nous faisons grâce au don de l’Esprit saint reçu au baptême.
3e dimanche de carême, Toulouse, 12 mars 2023 Jean-Michel Maldamé