Une lumière dans la nuit
Evangile selon saint Luc, chapitre 2 : « Il advint, en ces jours-là, que parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde habité. Ce recensement, le premier, eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, qui s’appelle Bethléem, — parce qu’il était de la maison et de la lignée de David — afin de se faire recenser avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. Or il advint, comme ils étaient là, que les jours furent accomplis où elle devait enfanter. Elle enfanta son fils premier- né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu’ils manquaient de place dans la salle. Il y avait dans la même région des bergers qui vivaient aux champs et gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit. L’Ange du Seigneur se tint près d’eux et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa clarté; et ils furent saisis d’une grande crainte. Mais l’ange leur dit: « Soyez sans crainte, car voici que je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple: aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. Et ceci vous servira de signe: vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche. » Et soudain se joignit à l’ange une troupe nombreuse de l’armée céleste, qui louait Dieu, en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance ! » »
Une petite remarque à prendre avec humour. Des appels téléphoniques arrivent au couvent et quelqu’un demande « à quelle heure aura lieu la messe de minuit ? ». La question porte la réponse. On peut en sourire avec condescendance avant d’indiquer l’heure dans la soirée… et pourtant ! La demande n’est pas sans profondeur. En effet dire « minuit » c’est autre chose que de dire 12 ou 24 heures comme l’affiche notre montre. Le chiffre résulte de la manière de mesurer le temps qui passe à partir du mouvement de la Terre et de sa place par rapport au Soleil. C’est un chiffre seulement un chiffre. Tandis que dire « minuit » c’est non seulement employer un autre registre de vocabulaire, mais vivre un autre rapport à la réalité ; c’est dire ce qui a rapport à la vie. La vie, oui, notre vie ! Nos émotions, nos aspirations, nos désirs, nos rêves et donc notre expérience de la vie où bonheur et malheur tissent la trame de notre existence.
Laissons donc résonner le mot « minuit » dans ses harmoniques d’émotions et de désirs. Dire minuit, c’est nommer un point de bascule entre l’avant et l’après. Ce qui était là c’était la nuit. L’obscurité avait gagné et le temps s’en est allé pour ne plus revenir. La nuit, le noir… Nous ne savons que trop ce que cela symbolise le noir dans les relations: l’absence, les échecs, les disputes, les séparations et les départs sans retour. Le noir aussi dans notre cœur : les doutes, les échecs, les erreurs, les chagrins et les désespoirs… Tout cela s’accumule et le noir est encore plus noir. Mais voilà que passé un seuil, tout cela change. Le temps prend une autre marche. Son règne va vers la fin, puisque la nuit a passé l’heure médiane et que désormais ce n’est plus les ténèbres qui croissent, mais le jour qui vient. La lumière vient. Mais cette nuit, il y a plus : une présence ! Une présence d’humanité. Ce n’est pas un bouleversement radical, ni une manifestation qui s’impose avec fracas, c’est quelqu’un. Sa présence est un imperceptible frissonnement, mais grâce à lui, le temps qui est devant devient celui de l’espérance. La vie est là. Elle l’emportera. Le voile qui obstrue la lumière de la vie sera rongé par la force d’une présence.
Ainsi les bergers dans la nuit. Avec eux, nous apprenons que dans la ville de David un enfant est né. Pour eux, « ville de David » désigne un lieu de mémoire, la mémoire de leurs ancêtres, mais aussi la nôtre. Nous savons que Dieu a choisi David pour que son peuple vive libre dans la dignité et nous savons aussi de haute certitude que cette promesse ne concernait pas seulement un seul royaume, mais toute l’humanité. La parole qui leur est dite « Dans la ville de David est né un sauveur », n’est pas seulement pour eux ; ils le voient parce que le ciel lui-même atteste que toute l’humanité est concernée.
Comme les bergers, comme les humbles et les pauvres, nous nous approchons de la ville de David où Dieu a marqué d’un sceau indélébile l’attente des humains et fait paraître l’espérance. Nous pourrons alors discerner que l’enfant qui vient au monde s’accomplit ce qui outrepasse notre attente : le don qui nous est fait n’est pas un cadeau, c’est la présence même du Dieu vivant qui partage notre vie pour nous faire partager sa vie.